Le pouvoir de la littérature : survivre grâce aux mots

Écrit par sur juin 15, 2023

Espérer et résister, voilà les mots d’ordre de Jessica Grunstein Bierman et Mahmud Nasimi, deux auteurs invités par Les Défricheurs et la libraire Quai des Brumes dans le cadre de la Semaine des réfugiés le mardi 13 juin 2023.

Le parcours de deux réfugiés, entre espoir et résistance

Retour de la préfecture de Jessica. Biermann Grunstein et Un Afghan à Paris de Mahmud Nasimi témoignent à la fois de la violence administrative réservée aux immigrés et de l’espoir qui, malgré les obstacles, les poussent à ne pas abandonner et à résister.

Dans son livre Un Afghan à Paris publié en 2021, Mahmud Nasimi revient sur son parcours en tant que réfugié d’origine afghane. Né en 1997 en Afghanistan, il grandira chez sa tante et son oncle. Avec ce dernier, les relations étaient conflictuelles, notamment au sujet de l’école. En 2013, alors âgé de 26 ans, il quitte l’Afghanistan alors que le pays est en proie à de nombreux conflits. Chaque jour étant plus incertain que le précédent. Il est donc contraint de fuir, laissant derrière lui ses amis et sa famille, tout en sachant que chaque jour ils risquaient la mort. Après avoir parcouru une dizaine de pays, il arrive finalement en France en 2017. Éreinté, affaibli et lasse des multiples épreuves qu’il a dû endurer jusque-là, il est sur le point de baisser les bras quand une surprenante rencontre lui redonne force et espoir : la découverte de la littérature française au cimetière du Père Lachaise. Bien qu’analphabète quand il entre dans le cimetière, il en ressortira grandi et passionné par la langue française qui devient très vite son pilier dans son combat vers la résilience

Photo de Mahmud Nasimi par Les Défricheurs
Photo de J. B. Grunstein par Les Défricheurs

Quant à Jessica Bierman Grunstein, elle dénonce dans Retour de la préfecture publié en 2022 la violence administrative dont elle-même a subi, lors d’un rendez-vous à la préfecture. Née en France, elle tombe amoureuse et épouse un homme qui, après avoir quitté le Sénégal, s’est installé en France. Mais ils sont loin de se douter que leur amour va être mis à rude épreuve lors du refus de permis de séjour qui leur est signifié par une employée de la préfecture de Paris. J. B. Grunstein se souvient encore parfaitement de l’ambiance, des regards, des mots employés à leur égard. Parmi ces mots, deux sont restés gravés à jamais dans sa mémoire : « mariage frauduleux ». Dès lors, les épreuves s’enchaînent. Rendez-vous après rendez-vous les mauvaises nouvelles s’accumulent et la colère s’amplifie. Attaquée dans son intimité, elle se plonge dans l’écriture et trouve dans le même temps la force de se battre.

La littérature, un pont pour aller de l’avant

Ce qui ressort de la lecture du roman de J. B. Grunstein comme de celui de Mahmud Nasimi, c’est la force libératrice et résiliente de la littérature. Son pouvoir de redonner espoir et volonté à ceux qui sont sur le point de tout abandonner. La littérature est, pour ces deux auteurs, à la fois une source de courage et d’inspiration.

Enfant, Mahmud Nasimi détestait lire et encore plus aller à l’école. Pour lui, étudier était synonyme de devoirs, obligations, punitions… Lorsqu’il arrive à Paris en 2017, après avoir quitté son pays natal quatre ans plus tôt, il noue une étonnante et nouvelle relation avec la littérature. Tout commence lors d’une journée d’hivers dans le cimetière du Père Lachaise. Arrivé ici par hasard, frigorifié, perdu, souffrant, il y découvre les grands auteurs de la littérature française : Balzac, Proust, Rimbaud, Maupassant, Camus… Dès lors, la littérature devient son remède. Il débute des cours de français, travaille avec acharnement et rigueur son vocabulaire, sa grammaire et sa prononciation en lisant et en apprenant par cœur des mots de texte. Tandis qu’il était un homme perdu, fatigué, isolé en entrant dans le cimetière du Père Lachaise ; il en ressort plein d’espoir, de volonté et de force. A cette période de mutisme où « il cherchait ses mots », nous dit-il, se succède un combat résolu pour la liberté et le bonheur. Il trouve dans les mots la force et le courage de se battre. Après l’enfer vécu, les morts et la guerre, il retrouve sa sensibilité à travers la littérature et des auteurs tels que Rimbaud, Baudelaire ou encore Proust.

Pleine de colère et d’incompréhension, J. B. Grunstein transforme grâce à la littérature sa colère et commence, le soir même de sa première visite à la préfecture, l’écriture de son roman. Tout comme Mahmud Nasimi, elle puise dans la littérature la force de résister. « J’écrivais pour me mettre en position de résistance. Je couchais sur le papier ma résistance et ma colère. » nous confie-t-elle. Écrire a été pour elle le moyen de prendre conscience des événements et de ce fait de pouvoir y faire face. D’une certaine manière, elle accusait les coups en les racontant sur le papier puis préparait sa contre-attaque. C’est ainsi qu’elle a su garder la tête froide et le courage de se battre.

Deux histoires mêlant récit et poésie

Un Afghan à Paris de Mahmud Nasimi et Retour de la préfecture de J. B. Grunstein sont deux récits témoignent d’une grande finesse d’écriture. La poésie se mêle au récit plongeant ainsi le lecteur dans une grande et vive émotion tout au long de sa lecture. Chaque page éveille un sentiment nouveau qui ne fait que s’accentuer ligne après ligne.

Un Afghan à Paris est, pour son auteur, une ode à la langue française et afghane. Dès lors, il n’est pas étonnant qu’il soit empreint de poésie. A la lecture de ce livre, on comprend bien vite que les mots ne sont pas choisis au hasard. Chaque mot a sa place, témoigne d’une sensation, d’une émotion bien particulière que Mahmud Nasimi exprime avec brio. Tout au long du récit, les rimes s’entremêlent rendant ainsi le récit encore plus touchant. Le lecteur ressent avec une grande intensité les émotions ressenties par l’auteur lui-même. Il est complètement plongé dans son histoire.

L’œuvre de J. B. Grunstein, Retour de la préfecture, nous livre en parallèle deux dialogues intérieures. D’une part, celui de la femme et d’autre part celui du mari. Cette construction atypique rend le discours encore plus touchant et dynamique. Le lecteur se sent comme pris dans leur bulle, ressent tour à tour leur peine et leur espoir. Les phrases se succèdent avec harmonie et élégance. Le récit est fluide et très agréable à lire.

Riches en émotion, en drames et en rebondissements ces deux livres nous invitent à garder espoir et force grâce à la littérature.

Tiana ALRIC