Première année d’ouverture pour l’école démocratique NovAgora à Strasbourg… et premier bilan

Écrit par sur août 28, 2018

L’école NovAgora, première « école démocratique » à Strasbourg, a ouvert ses portes en octobre 2017 et a accueilli pendant l’année scolaire plus d’une vingtaine d’élèves, de 3 à 20 ans. Cet établissement privé hors contrat propose une éducation alternative davantage centrée sur le bien-être et le rythme propre de l’élève : celui-ci y organise sa journée comme il le souhaite, et n’est pas encadré par des professeurs mais des adultes « facilitateurs d’enseignement ». Rencontre avec ces élèves qui ont quitté sans regret l’école publique, et sont pour la plupart enchantés de cette première année dans leur « école démocratique ». 

Pas de cour de récréation, pas de grand fronton estampillé « École » en lettres capitales ne permettent de distinguer les locaux de l’école NovAgora parmi les nouvelles constructions du quartier Neudorf à Strasbourg, du côté de la passerelle de la Citadelle : située au rez-de-chaussée d’un bâtiment neuf, à deux pas de l’arrêt de tram Aristide Briand, une simple petite pancarte collée derrière la porte d’entrée indique l’emplacement de cette « école démocratique ».

Ici, le visiteur est prié de quitter ses chaussures à l’entrée. Dans un coin, une petite bibliothèque destinée aux parents proposent une pile de livres d’occasion à emprunter – il s’agit surtout d’ouvrages sur l’éducation alternative au sens large. Des ouvrages souvent prêtés tant la curiosité des parents est grande, selon Cindy Kaercher, la directrice et co-fondatrice de l’école NovAgora.

C’est elle qui nous accueille dans une grande salle occupée par des tables, des canapés, un peu plus loin un espace de jeu pour les enfants. Ces derniers sont déjà occupés : certains lisent dans un coin, d’autres jouent ensemble.

Au sous-sol de ce grand local neuf de 300 m² dans lequel NovAgora a emménagé en octobre 2017, dans une « salle de cinéma », quatre adolescents et un adulte jouent ensemble devant un ordinateur à un « jeu d’horreur » en anglais. L’occasion d’apprendre, expliquent-ils, du vocabulaire dans la langue de Shakespeare.

Du matériel d'apprentissage est mis à la disposition des élèves. Ils décident librement de s'en servir ou non, avec l'aide d'un adulte
Du matériel d’apprentissage est mis à la disposition des élèves. Ils décident librement de s’en servir ou non, avec l’aide si besoin d’un adulte « facilitateur d’apprentissage ». (Photo EB – Les Défricheurs)

L’adulte, c’est Jean-Fred, le papa d’Anaëlle, 15 ans, invité par sa fille ce matin. Car chaque enfant peut inviter qui il veut, deux fois par année scolaire, à venir passer une journée à NovAgora ; parfois ce sont les amis restés dans le circuit de l’école publique, parfois ce sont les frères et sœurs, parfois encore les parents.

Une pédagogie alternative qui considère l’enfant comme l’égal de l’adulte

De retour au rez-de-chaussée, nous passons devant des feuilles colorées accrochées au mur : ce sont les différents « clubs » qui existent au sein de l’école, auxquels chaque élève peut s’inscrire librement.

À côté, un immense emploi du temps apposé au mur indique aux enfants quelles sont les activités proposées, par exemple quand un intervenant extérieur (artiste, psychologue…) est invité ; là encore, aucune obligation d’y participer.

Les élèves de l'école NovAgora peuvent créer des clubs et s'y inscrire librement, organisant activités et ateliers. (Photo EB - Les Défricheurs)
Les élèves de l’école NovAgora peuvent créer des clubs et s’y inscrire librement, organisant activités et ateliers. (Photo EB – Les Défricheurs)

L’école NovAgora est l’une de la vingtaine d’ « écoles démocratiques » présentes en France ; inspirée du modèle Sudburry, du nom de la première école de ce type, créée aux États-Unis en 1968, ses membres fondateurs prônent la liberté totale de l’enfant en ce qui concerne son emploi du temps, ses occupations, ce qu’il veut apprendre et de quelle manière.

Concrètement, des outils pédagogiques (livres, jeux d’apprentissage utilisés notamment par la méthode Montessori, ordinateurs…) sont mis à leur disposition. Les enfants apprennent par eux-mêmes, seuls ou à plusieurs, avec ou sans l’aide d’un adulte « facilitateur d’apprentissage ». L’objectif de cette pédagogie : l’adaptation au rythme propre de l’enfant, et la satisfaction (voire l’encouragement) de sa curiosité naturelle.

Cindy Kaercher et Claire Besson, qui font partie du groupe des six co-fondatrices de l’école, expliquent que l’intérêt d’une école démocratique est de laisser à chacun, adulte ou enfant, la possibilité de « devenir qui il a envie de devenir », sans imposition :

Une école démocratique est un lieu où chacun prend la responsabilité de sa vie, où chaque personne est libre de choisir ce qu’il a à faire, et est responsable de ce qu’il fait. Nous donnons la possibilité à l’enfant de devenir ce qu’il veut être, sans avoir d’idée préconçue de ce qu’il doit devenir ou ce qu’il doit apprendre. Nous considérons les enfants non pas comme des êtres inférieurs qui doivent obéir à des règles et une autorité supérieure, mais comme des personnes à part entière qui sont en train de construire leur personnalité et leurs projets.

Vers 10 heures, la maman de la jeune Louise, Gaby, dépose sa fille à NovAgora. La jeune fille y restera quelques jours, le temps de voir si la pédagogie différente de celle pratiquée en école publique lui correspond – et si elle parvient à s’intégrer dans le groupe d’enfants, explique Gaby :

Cela fait deux ans que je lis différents livres sur une scolarité différente du cycle normal, et je trouve cela tout à fait adapté au mode d’apprentissage de Louise. Elle s’intéresse à beaucoup de choses et elle a l’habitude de chercher par elle-même ce qu’elle veut faire, donc elle est déjà très autonome. Je cherchais vraiment une école qui s’adapte à son rythme, et si le papa est d’accord [le règlement de l’école NovAgora précise que les deux parents, surtout en cas de séparation, doivent donner leur accord, ndlr] nous l’inscrirons ici à la rentrée.

Anaëlle, Solenn, Althéa sont inscrites à NovAgora depuis l'ouverture de l'école en octobre 2017. Jean-Fred, le papa d'Anaëlle, a été invité par sa fille pour passer la journée au sein de l'école et participer aux activités des élèves. (Photo EB - Les Défricheurs)
Anaëlle, Solenn et Althéa sont inscrites à NovAgora depuis l’ouverture de l’école en octobre 2017. Jean-Fred, le papa d’Anaëlle, a été invité par sa fille pour passer la journée au sein de l’école et participer aux activités des élèves. (Photo EB – Les Défricheurs)

Jean-Fred, le papa d’Anaëlle, a inscrit ses trois enfants à NovAgora, après s’être rendu compte du mal-être de l’un d’entre eux, alors élève à l’école publique :

Notre deuxième enfant s’intégrait difficilement dans sa classe, il s’ennuyait beaucoup et recevait des punitions parce qu’il n’écoutait pas. En CM2, nous avons appris qu’il était harcelé depuis deux ans par un camarade, et nous nous sommes rendu compte que le personnel encadrant, notamment sa maîtresse et le directeur de l’école, étaient au courant mais n’ont rien fait ! C’est un peu le mythe de l’école publique qui s’effondrait.

Désappointés, les parents cherchent alors un système d’éducation alternatif. D’abord sceptiques vis-à-vis de « l’école démocratique », ils se rendent à plusieurs réunions publiques organisées par les co-fondatrices de NovAgora, raconte Jean-Fred :

La manière dont l’école fonctionne nous a beaucoup parlé par rapport à la situation de Timéo. On s’est beaucoup renseigné sur Internet mais on s’est vite rendu compte qu’on devrait avancer un peu dans l’inconnu, et surtout faire confiance à notre fils. Il a commencé l’école à NovAgora en octobre, et nos deux autres enfants ont rapidement demandé à y être également inscrits !

Une grande liberté d’action pour les enfants… invités également à se responsabiliser

Concrètement, comment se déroule une journée à NovAgora, en l’absence d’un emploi du temps prévu à l’avance et d’un programme pédagogique à suivre ? Selon Cindy Kaercher, il n’y a justement pas de journée-type, chaque enfant choisissant le jour même ce qu’il compte faire :

Aucune journée ne se ressemble : certaines sont très actives, notamment lorsque nous avons invité des intervenants extérieurs ou quand un enfant a invité un de ses proches pour une journée. D’autres jours, tout le monde s’ennuie, mais cela fait partie aussi du processus d’apprentissage : l’ennui fait beaucoup travailler l’imagination donc c’est essentiel pour l’apprentissage et l’éveil des enfants.

Un immense emploi du temps sur le mur permet d'informer les élèves de l'organisation des activités de la semaine. Le Conseil d'École, qui réunit élèves et adultes encadrants, permet de constater le manquement à l'un des points de la Charte de l'école et de tenter une médiation. (Photo EB - Les Défricheurs)
Un immense emploi du temps sur le mur permet d’informer les élèves de l’organisation des activités de la semaine. Le Conseil d’École, qui réunit élèves et adultes encadrants, permet de constater le manquement à l’un des points de la Charte de l’école et de tenter une médiation. (Photo EB – Les Défricheurs)

Pas de programme défini : chaque enfant apprend et se forme en fonction de ses goûts, de ses aspirations, mais également de la vie quotidienne. Une banale sortie à la piscine est par exemple l’occasion de s’essayer aux mathématiques, explique Cindy Kaercher :

Cet exemple est assez emblématique de la manière dont les enfants apprennent : on leur donne un budget et ils se débrouillent. Combien d’enfants participent à la sortie, combien coûte un billet de tram, donc de combien avons-nous besoin pour acheter des billets ? C’est en répondant eux-mêmes à ces questions que les enfants apprennent ce dont ils auront besoin dans la vie de tous les jours. Nous restons bien sûr à leur disposition s’ils ne trouvent pas réponse à leur question, mais le but est qu’ils trouvent par eux-mêmes la solution aux problèmes concrets qui se posent.

S’autonomiser, gagner en confiance en soi, apprendre par soi-même 

Après une première année d’inscription à NovAgora, quel bilan en tirent les parents et les élèves ? Du point de vue de la pédagogie, Jean-Fred ne voit que des points positifs :

Mes enfants n’apprennent que ce dont ils ont besoin pour leur vie future : s’il leur manque une connaissance, ils l’apprendront d’eux-mêmes le moment venu, par la lecture par exemple. S’ils ne l’ont pas appris, c’est qu’ils n’en ont pas besoin ! Je me souviens moi-même avoir appris beaucoup de choses qui ne me servent pas aujourd’hui et ne m’ont jamais servi.

Sa fille Anaëlle, qui a passé une partie de la matinée lors de notre visite à jouer avec des camarades au « jeu d’horreur » en anglais, est ravie également de sa première année de scolarisation à NovAgora :

J’ai appris plus en anglais en un an ici, que pendant toute ma scolarité à l’école publique, en utilisant Google Traduction ou en regardant des films ou des séries pour savoir comment traduire les termes. Dans mon ancienne école, j’étais très nulle et je détestais ça, l’école m’a dégoûtée de l’anglais : les cours n’étaient pas très intéressants et nous apprenions du vocabulaire qui ne nous servira pas plus tard.

Autre compétence acquise pendant cette année : le dessin notamment sur tablette graphique, « au point de quasiment maîtriser plusieurs logiciels de dessin sur ordinateur », explique fièrement son père.

(Photo EB - Les Défricheurs)
(Photo EB – Les Défricheurs)

Solenn, une amie d’Anaëlle, a le même discours : elle apprend aujourd’hui l’anglais via le visionnage de films et séries en version originale. Inscrite auparavant dans un autre établissement strasbourgeois, qui met également en pratique une méthode pédagogique alternative, la pédagogie Steiner-Waldorf, la jeune fille insiste surtout sur les bénéfices de cette première année à NovAgora en termes de confiance en elle :

Je me sens beaucoup mieux dans ma peau et j’ai davantage confiance en moi. Dans mon ancien collège, j’ai été harcelée et je m’étais complètement refermée sur moi-même, je ne sortais plus. Quand mes parents m’ont inscrite ici, l’objectif était que j’oublie tout cela et que je retrouve confiance en moi. Et c’est réussi !

Une trentaine d’inscriptions espérées à la rentrée 2018

Pour Cindy Kaercher, directrice de l’école et l’une de ses co-fondatrices, tire elle aussi un bilan très positif de cette première année d’existence de NovAgora :

Rien que le fait d’avoir ouvert l’école, et d’avoir accueilli dès la première année 25 élèves, c’est un motif de satisfaction ! Pour tout le monde, nous-mêmes comme les enfants et les parents, cette première année d’existence a été celle de l’adaptation à un nouveau système de fonctionnement et à l’abandon des anciennes règles que nous avons tous connues dans le système public. Pour certains cette adaptation a été plus facile que pour d’autres, car certains enfants ont l’habitude d’être très encadrés et ont du adopter un nouveau mode de fonctionnement et devenir autonomes. Mais une fois l’adaptation faite, c’est finalement devenu très simple, très naturel.

Précision importante cependant : pour inscrire son enfant à NovAgora, il faut s’acquitter de la somme de 300 euros tous les mois, l’école, hors contrat avec l’État, ne disposant pas de subvention. Pour Jean-Fred et Anaëlle, cet effort financier s’est accompagné de la réorganisation complète du budget de la famille vers la réduction du superflu. Jean-Fred réfute en tout cas l’argument d’une « école démocratique » devenue élitiste par son simple coût : « Il faut revoir ses priorités et faire des choix, c’est un effort à faire mais l’éducation n’a pas de prix », explique-t-il.

Afin de créer un système de bourses et rémunérer les intervenants extérieurs et les personnes qui encadrent les élèves, Cindy Kaercher explique vouloir faire appel à du mécénat et organiser des évènements, comme des vide-dressings ou ventes de gâteaux, ou encore mettre le local en sous-location pendant les vacances d’été.

En attendant cette manne financière tant espérée, la directrice de l’école mise sur une trentaine d’inscriptions pour la rentrée 2018.