Des grainothèques éclosent à Strasbourg pour promouvoir l’échange de semences
Écrit par Elise Baumann sur avril 29, 2022
Depuis 2016, plusieurs « grainothèques » sont apparues dans les rayons des médiathèques à Strasbourg et font des adeptes. Le principe est simple : récolter des graines dans son propre jardin, les déposer sur un petit étal et emporter celles laissées par les autres jardiniers. Seule contrainte : les graines ne doivent pas être issues de plants hybrides, une manière de proposer une alternative à l’industrie agroalimentaire et promouvoir le retour du troc.
Dans le magnifique escalier en bois de la Médiathèque protestante Saint-Thomas à Strasbourg, nul ne peut la manquer : une magnifique « grainothèque », décorée d’un arbre en panneau de bois, trône sur le large bord de fenêtre, à droite de l’entrée.
C’est Mélanie Martin, pasteure et salariée de la Médiathèque, qui l’a bricolée durant l’hiver 2016, avec des panneaux de bois récupérés çà et là ; un coup de peinture, quelques plantes (réelles cette fois) pour la décoration, et le tour est joué.
Le principe d’une grainothèque est simple : récolter dans son propre jardin des graines (de fruits, de légumes, de fleurs…), les laisser sécher, puis les empaqueter dans des petits sachets, et les déposer dans la grainothèque. Chacun peut ensuite se servir librement, emporter ce qui lui plaît, laisser (ou non) une autre variété.
Dans les petits compartiments de la grainothèque de la Médiathèque protestante, plusieurs écritures et types de sachets (certains de simples enveloppes de papier blanc, d’autres des sachets de thé réutilisés pour l’occasion, d’autres encore des petits contenants colorés) témoignent des échanges qui ont lieu ici : graines de butternut, nigelle de Damas, épeautre ancien, coriandre, choux de Bruxelles, phacélie… Certains jardiniers se sont appliqués, en dessinant sur leurs petits sachets, ou en notant la date de récolte et quelques conseils de plantation.
Ce système de troc de graines, développé en France notamment par l’association Graines de Troc, permet la libre circulation de graines, à la fois dans une démarche de végétalisation des villes et de lutte pour la biodiversité. Graines de Troc recense sur son site près de 550 grainothèques, et accompagne les structures porteuses à mettre sur pied leur propre grainothèque : l’association met en effet à disposition de la documentation, par exemple sur la manière de faire sécher ses propres graines.
A la Médiathèque de Lingolsheim, Fabien Wild, qui a mis en place la grainothèque qui siège depuis juin 2017 à l’accueil, a réalisé cette documentation lui-même, à partir de recherches sur Internet et grâce à ses propres connaissances. Possédant lui-même un jardin potager, il a disposé ses propres graines dans la grainothèque à ses débuts, pour avoir quelque chose à proposer aux jardiniers en herbe qui seraient intéressés.
Beaucoup de jardiniers qui prennent, mais ne déposent pas forcément en retour
Aujourd’hui, un an après l’installation de la grainothèque, Fabien Wild tire un bilan plutôt positif :
En ce moment il n’y pas grand-chose puisque tout a été planté au printemps, donc il reste surtout des graines de fleurs. Mais globalement il y a pas mal de mouvement, nous avons des participants réguliers qui sont aussi des habitués de la Médiathèque et qui viennent régulièrement récupérer des graines. Mais certains ne donnent pas en échange, à mon avis parce que le troc ne fait plus partie des habitudes des gens.
A la Médiathèque du Neudorf, Christine Schott, à l’initiative de l’installation de la grainothèque en place depuis juin 2017, se félicite de son succès presque immédiat :
Dès l’inauguration, beaucoup d’habitués de la Médiathèque sont venus déposer des graines, le système de troc s’est très rapidement mis en place. Elle est parfois moins remplie selon les périodes de semis, mais globalement ça marche très bien. Et nous espérons voir arriver à la rentrée de nouvelles graines, rapportées des vacances, ça devrait ramener encore plus de diversité !
A la Médiathèque protestante, Mélanie Martin est également satisfaite, un an et demi après le lancement de l’actuelle grainothèque :
Elle a mis un peu de temps à se lancer, nous l’avons changée de place plusieurs fois pour trouver l’endroit adéquat, afin que les gens la voient et soient invités à échanger, même s’ils ne fréquentent pas la Médiathèque. Maintenant qu’elle a trouvé sa place et qu’elle est visible, ça marche plutôt bien : les gens viennent y déposer leurs graines et en emportent d’autres. Et on a des choses assez diverses…
Et la jeune pasteure insiste, en raison notamment des nombreuses questions qu’on lui pose à ce sujet : la bibliothèque protestante est certes spécialisée dans les ouvrages liturgiques, mais n’importe qui peut venir y consulter les ouvrages – et a fortiori déposer des graines dans la grainothèque.
Seule contrainte : pas de graines issues de plants hybrides F1
Une seule règle doit être respectée par tout jardinier souhaitant partager ses graines : ne pas distribuer de graines issues de plants dits « F1 », ou hybrides, distribués dans la plupart des commerces (jardineries ou grande distribution par exemple).
Les graines issues de ces plants ne sont pas viables, c’est-à-dire qu’elles sont sélectionnées pour permettre une récolte satisfaisante la première année, mais beaucoup plus faible en cas de remise en terre ; en clair, la plante se dégénère d’elle-même au bout de plusieurs générations, obligeant le jardinier à racheter chaque année de nouvelles graines ou de nouveaux plants.
Le jardinier qui voudrait ainsi acheter des graines non F1 devra se tourner vers des semenciers bio ou des associations, comme l’association Kokopelli.
A la médiathèque de Lingolsheim cependant, Fabien Wild préfère ne pas se formaliser : pour lui, l’essentiel est que « les visiteurs se refamiliarisent avec le travail de la terre ». Il se souvient d’un petit garçon venu à la déposer à la grainothèque un sac plein de graines :
Il avait récupéré toutes les graines d’un melon que ses parents avaient acheté au supermarché, donc un melon F1. C’était sûr que cela n’allait rien donner de viable, mais il y avait mis tellement d’application que je n’ai pas osé le renvoyer chez lui avec son sac plein. Et puis la déception d’une plantation qui ne donne rien fait partie de l’apprentissage d’un jardinier : manipuler du vivant, c’est aussi manipuler du mort, des choses qui ne pousseront jamais. Même avec des graines a priori viables, on peut manquer de chance. C’est la règle du jeu !